Pour ceux que ça intéresse, un article de l'équipe de 2013 au moment ou il émergeait avec Troyes en Ligue 1, avec des passages sur son enfance, ses qualités, ses valeurs toussa Trouvé sur un forum de l'ESTAC!
Un destin à part
À dix-sept ans, il joue en L 1, déjà. Forcément, on parle de lui comme d’un prodige, d’un futur très grand. Et si ses dirigeants tentent de le protéger, ils doivent se rendre à l’évidence : l’attaquant troyen, puissant dans le jeu, mature dans la vie, n’est pas comme les autres.
"C’ÉTAIT UN MATIN d’hiver, glacial et piquant. Il faisait encore nuit, le réveil a sonné une fois, deux fois, dans le vide. Corentin Jean ne s’est pas levé. « Et là, je me suis dit : oh non, pas lui ! » La veille, Claude Robin, le directeur du centre de formation de Troyes, avait loué devant ses coéquipiers celui qui passe pour le petit prodige du coin, à la mentalité irréprochable : « Je suis très attentif aux garçons qui ne se lèvent pas le matin. Dans ces cas-là, je les emmène le lendemain courir à 6 h 30. Le problème, c’est que c’était la première fois pour Corentin en trois ans. Mais comme je l’avais cité en exemple, je ne pouvais pas faire autrement. Il est venu courir avec moi. » « Je m’en souviens, il faisait – 15 oC, ça réveille, sourit Jean aujourd’hui. Depuis, je n’ai plus eu de panne de réveil. » Le garçon de dix-sept ans, soumis aux regards de ceux qui attendent tout de lui, enregistre vite, apprend vite, percute vite. C’est vrai en cours (il est en terminale STG), mais également sur le terrain. En quelques mois, à Troyes, il est passé des 17 ans à une place dans le groupe professionnel, en face duquel il a chanté On va s’aimer de Gilbert Montagné, assumant parfaitement son goût pour la musique des années 1980. En véritable glouton, il prend tout, cumule les expériences en accéléré. Pour sa première apparition, en quarts de finale de la Coupe de la Ligue contre Rennes (1-2, le 29 novembre), il bouge les défenseurs bretons, marque un joli but. La semaine suivante, toujours contre Rennes mais en Championnat cette fois (2-3, le 2 décembre), il entre en jeu, cavale comme un dératé, prend un jaune puis un rouge direct. De quoi douter ? « Après son expulsion, on se demandait comment il allait réagir, s’est interrogé son père, Denis, dessinateur industriel. Mais à la fin du match, il n’était même pas marqué, il est passé très vite à autre chose. Il est comme ça, Corentin. » Sur la pelouse, il mord les mollets, se moque des CV de ses adversaires et, comme le dit sans détour Jean-Marc Furlan, « il n’a peur de rien, ce &$# ! Les tampons, il aime ça. Il est plus boucher que veau et c’est une qualité pour un attaquant ». Comme sa capacité à retenir les leçons : « Juste avant mon expulsion, j’ai eu droit à une superbe ovation du public pour ma première à la maison, je n’ai pas compris. Je voulais tout faire, tout donner, je courais partout. J’étais trop excité... »
Ce n’est pas nouveau, son parcours s’accompagne depuis quelques mois d’une solide réputation de petit génie précoce, la rumeur a bruissé et Jean-Marc Furlan a d’abord essayé d’y résister. En vain : « On est dans une société où on consomme tout, très vite. C’est un peu toxique car pour progresser il vaut mieux évoluer caché. Mais lui... Je l’ai pris dans le groupe pro en début de saison et je l’ai mis “au placard” pendant trois mois mais, très vite, j’ai vu qu’il faisait jeu égal avec les pros. Au bout d’un moment, tu ne peux plus te cacher. S’il joue, ce n’est pas parce qu’il est jeune mais parce qu’il est bon. Je ne suis pas Ancelotti, je n’en ai pas eu des dizaines de jeunes joueurs, mais c’est la première fois que j’en vois un comme lui. Athlétiquement, c’est du très, très haut niveau. »
À Blois, un de ses premiers clubs, on avait aussi repéré le potentiel du phénomène sans pour autant imaginer qu’il exploserait si vite au haut niveau. Pour Laurent Gatay, responsable de la préformation et qui l’a dirigé pendant deux ans, « Corentin était doué mais pas hyper talentueux sur le plan technique. Un peu comme Aly Cissokho (aujourd’hui à Valence) qui, chez nous, évoluait en jeunes dans les équipes 2 et 3, il n’était pas le plus doué mais, dans la tête, il faisait partie des plus costauds. Par exemple, il n’a jamais été pris au pôle Espoirs régional de Blois. Et je ne sais pas pourquoi... » Sa taille, sûrement (il mesure 1,70 m). Même le Stade Rennais, à treize ans, l’a recalé après un essai. Sa taille est le salut de Troyes, seul club prêt à l’accueillir dans son centre de formation. Philippe Vaugeois, le recruteur du club aubois dans la zone Lyon-Centre-Région parisienne, l’avait mentionné à Claude Robin, qui, dans la foulée, l’avait suivi à la Coupe nationale des 15 ans à Clairefontaine : « Aucun club n’était sur lui, il n’avait signé aucun ANS (accord de non-sollicitation) ! Mais quand je l’ai vu, je me suis demandé comment on avait pu passer à côté de ce joueur. Je fais attention de ne pas exagérer mais lui, il a tout. C’est un attaquant besogneux, pas avare de ses efforts. Il a une vivacité gestuelle, il crée des brèches, il n’est jamais à l’arrêt. Dans les appels, il est très intelligent. » Cette litanie de qualités, Mounir Obbadi, un des cadres de l’effectif, l’a découverte cette année : « C’est un garçon posé, sérieux, un peu réservé dans le vestiaire sans être impressionné. Mais sur le terrain, rien ne lui fait peur, il est sûr de sa force. » À dix-sept ans, il pourrait user de la bonne vieille langue de bois, seriner qu’il doit « passer les étapes une à une », mais il plante son regard dans le vôtre et, sans trembler, lâche : « Tout ce qui m’arrive, oui, ça va vite. Trop vite ? Je ne sais pas. Si j’en suis là, c’est grâce à mes parents et c’est que je le mérite, car j’ai travaillé pour. J’ai un bel avenir, j’ai de grosses qualités. » Le tout sans effronterie, sans forfanterie, juste l’assurance de ceux qui ont du talent : « Franchement, je n’ai pas peur, j’avance. Je viens de Rougeou (Loir-et-Cher), un village de 150 habitants, la campagne. J’ai la tête sur les épaules, c’est ce qui me fera aller très loin. » Petit, il a même fini par aller trop loin et trop vite pour son père. « Il est infatigable. Quand j’allais couper du bois, il venait avec moi, il prenait la brouette et il ne savait pas faire ça doucement. Quand on faisait des sorties à vélo, pareil. À sept ans, on faisait dix kilomètres, je le distançais pour voir comment il allait réagir. Et il revenait. Puis on est passés à quinze kilomètres, vingt kilomètres. Jusqu’au jour où je ne pouvais plus le suivre ! (Rires.) » Furlan, qui a lancé le Parisien Blaise Matuidi au même âge, a été confronté à la même évidence : « C’est un athlète, un gars qui participe beaucoup au jeu, peut-être trop. Et c’est un stratège qui sait quand donner la balle. Des joueurs techniques et qui vont vite, il y en a des centaines en CFA mais ceux qui savent faire très bien jouer leurs coéquipiers, capables de passer en L 1, pas beaucoup. »
Corentin Jean en est. Au point d’être une future pointure internationale ? « Je ne serais pas sérieux si je répondais à cette question, avance Furlan. Qu’est-ce qui peut l’arrêter? Pas son cerveau, déjà ! Je ne veux pas lui porter la guigne, mais je ne lui vois pas de limites. » Il est programmé, il s’est peut-être programmé lui-même d’ailleurs : « Je ne peux pas être comme les jeunes de mon âge, je ne peux pas manger n’importe quoi, sortir en boîte. Je ne veux pas faire n’importe quoi avec mon corps. » Cette confiance, selon son père, Denis, il l’a acquise « à l’internat quand il était en sport-études ». Depuis, « rien ne l’affecte, selon Robin. Il est avenant, il a une faculté à être apprécié parce qu’il est naturel. C’est la clé dans le football : on se laisse avoir par l’esbroufe, par un joueur capable de réaliser un truc. Puis on attend dix matches pour revoir ce truc. Corentin, il ne vous déçoit jamais ». Contre Lyon, la semaine dernière, ce bon élève de terminale était de nouveau titulaire, Furlan n’hésite plus à le faire passer devant les supposés cadors, Marcos, Grax ou Bettiol, persuadé d’avoir dans les mains « un vrai buteur ». On retiendra pourtant un beau loupé face à Vercoutre, samedi dernier. Le natif de Blois, passé par toutes les équipes de France jeunes, ne se cache pas : « La balle rebondit juste devant moi mais je suis attaquant, je dois la mettre au fond. J’ai vite oublié cette action. Ma force, c’est de ne pas douter. Même si je dois jouer en Ligue des champions, je m’en fous, je me donne à fond ! » Il n’en est pas là, n’a même toujours pas signé de contrat professionnel. C’est prévu pour les prochaines semaines et le contrat sera effectif à sa majorité, en juillet prochain. En attendant, son père le protège, des clubs qui rôdent, des agents qui le harcèlent (Thierry Gras le conseille depuis décembre), et planifie, dans l’idéal, une montée en puissance sans précipitation : « Quelques années avec Troyes, qui est un club familial fait pour lui, sans lequel il n’aurait pas percé. Puis un club français de première partie de tableau, un autre parmi les meilleurs français, avant une dernière expérience à l’étranger. Quatre clubs, c’est bien, je pense. » Et si, comme on peut l’imaginer, Troyes descend en Ligue 2 ? Père et fils, en chœur, assurent que « cela ne changera rien ». Corentin Jean le rappelle, il a « la tête sur les épaules », et, heureusement, une naïveté confondante quand il déclare aimer un autre joueur précoce, le Parisien Jérémy Ménez, « en tout cas son jeu. Moins sa personnalité, il est un peu trop bling-bling pour moi ». On avait compris.
Source : l'équipe du 19/01/2013
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